J’étais pénarde. J’avais préparé une tarte aux pommes pour mon amie qui devait venir gouter avec ses enfants.
Sacha tournait en rond. J’avais dit non pour jouer sur l’ordi, il ne voulait pas regarder de film. Moi j’avais des choses à faire et je ne pouvais pas sortir. Un jour creux de vacances.
Mes parents étaient passés pour quelques heures. Et Sacha continuait à trainer ses dix ans cinq douzième.
« Et si tu allais chercher le pain à la boulangerie en trottinette ? »
La joie dans ses yeux. Il n’a jamais aussi mis peu de temps pour enfiler et lacer ses baskets. Il a filé chercher son matos, a pris au vol le billet de cinq que je lui ai tendu, je ne crois pas qu’il ai entendu que je voulais du pain de seigle avec une baguette. Et presque sans se retourner, il est parti.
« Fais moi les yeux quand même avant de partir. » Les yeux c’est un truc que j’ai avec les gens que j’aime. Je ne laisse jamais un amour partir sans le regarder droit dans les yeux. Même pour aller chercher du pain.
Il est parti.
Nous étions comme des couillons avec mon père et ma mère à le regarder, ce si grand poussin tout jaune. Reste bien à droite ok ? Tu ne parles à personne. Tu vas juste à la boulangerie et tu reviens. Au grand carrefour en bas, tu fais attention et tu montes sur le trottoir de gauche. Fais gaffe ok ? T’as peur maman ? (Je me liquéfie mon chéri, hier encore tu mesurais 46 centimètres je te signale) Non pas du tout mon coeur, tu as l’air si heureux, j’ai confiance en toi.
Il est parti.
J’ai regardé l’heure. Toutes les minutes. J’ai fumé trois cigarettes. J’ai fait les cents pas. Ma mère a bien essayé de me parler mais je n’écoutais pas. Il est sinueux le chemin. Et étroit. Il faut qu’il fasse attentions aux voitures. Bon là il doit avoir dépassé le square. Là il doit rentrer dans la boulangerie. Là, ça y est il doit payer.
Il va rentrer.
Mais oui c’est sur, dans cinq minutes il est là. Il ne lui arrivera rien. Il va être fier et heureux de l’avoir fait.
Il est là ! En sueur d’avoir monté la côte. Il est là je le vois, je ne peux pas le louper avec sa parka jaune.
Il n’y avait plus de pain de seigle. Il avait tout bien écouté en réalité. Mais il a pensé à sa sœur et lui a ramené un œuf Kinder. Un pour lui et un pour elle.
Ça y est je l’ai fait. JE L’AI FAIT les gars. J’ai laissé mon garçon s’envoler. Vous vous souvenez à Paris ? J’en aurais été incapable. Je suis fière putain les gars. Et lui alors, il n’en pouvait plus de me raconter sa première balade en solo.
Demain il y retourne !
Un jour on les met au monde. On a la frousse, on s’inquiète. On se dit que jamais, jamais on ne pourra les laisser s’en aller seul. Que de toute manière jamais on ne pourra s’en séparer. Les tripes comme des mailles, une à l’envers, une à l’endroit. Notre prunelle. Notre précieux trésor. Et puis dehors d’abord c’est la jungle ma bonne dame.
Mais un jour, le grand poussin ne demande qu’à s’en aller. Qu’à courir, Qu’à voler.
Pour nous c’était cette après midi. J’ai eu la trouille. Un peu. C’est vrai. Mais il était si content que ma peur n’était rien à côté de sa joie à lui. Et je suis sûre que demain j’aurai un peu moins les chocottes qu’aujourd’hui.
Ahlala. On dirait que j’ai grandi d’un coup dis donc !
Je vous embrasse fort.
À VITE.
41 commentaires
Quel plaisir de lire tes jolis billets tellement chargés d’émotion et de douceur bienveillante! Bravo toi et bravo Sacha pour cette nouvelle étape vers l’autonomie!
merci beaucoup !
Quel courage! C’est exactement ce que je me dis pour mon petit koala, que je serai incapable de le laisser s’en aller sans moi! Y’a du boulot hihi… Mais j’ai du temps il est petit encore!
Bravo à ton grand garçon, bravo à toi maman!
Gros bisous!
je pensais en être incapable… et pourtant!
Bravo à vous deux pour ce grand pas (Enfin surtout yoi)
merciii !
Tu a réussi a me faire pleurer…
<3
J’adore te lire. A quand le livre?
j’adorerais 🙂
Je suis fière de toi, bravo Tata Rita ! Et j’ai les miquettes grave du jour ou ça m’arrivera!
Tu avais commenté sous le billet parisien. et ce commentaire m’étais resté en tête. J’ai pensé à toi en écrivant!
Je me rappelle très bien de l’article originel… 🙂
J’avais même commenté, je crois bien!
Et en te lisant, les tripes comme un tricot, je me disais que je pouvais bien faire la maligne mais que moi aussi je pense que je me tricoterai les boyaux quand ma louloute ira chercher le pain… Encore que chez nous la boulange est à 5 mètres… Je la guetterai depuis le pas de la porte. Bravo grande maman!!!
hihihi! et vive les boulangeries à 5m !!!
Te lire me fais réfléchir à l’avenir ! Comme il est bon ce billet, je reprenais mon souffle à chaque virgule. Merci Camille. Merci pour ce vent de liberté que tu lui laisses, qui le, (vous) prépare à tout le reste. Tu es formidable. (C’est rare que je commente, lectrice toujours, je sors de mon mutisme parfois)
Oh lala merci beaucoup!!!
Ouh punaise BRAVO!!!!
t’as vu ça un peu !!!!
Huhuhu WELL DONE !!!!
Ici le lardon 1 part à l’école tout seul depuis une semaine, un matin on était un peu en retard et je lui ai dit « vas y tout seul puisque tu es prêt mon chou ! »
J’ai failli courir derrière dans l’escalier en criant « nan nan je déconne » mais il était tellement fier que je me suis retenue…
Bon j’ai pas trop de mérite il n’y a pas de rue à traverser pour aller à l’école 😉
ben si tu as du mérite ! attends c’est chouette déjà, pour eux c’est beaucoup!
Ahhhhhhhhhh j’étais en stress rien qu’en te lisant, pfiouuu bonne mère !!!!
je ne faisais pas la fière pendant 20 minutes, tu peux me croire!
oh que oui je m’en souviens de cet article… mes poulettes ont 6 et 4,5 alors alors je m’étais dit « relax t’as le temps » mais j’étais si curieuse de savoir comment tu avais négocié entre amour/peur/intelligence/respect de l’autre… voilà, j’ai ma réponse… merci 🙂 ET j’imagine tellement votre fierté à tous deux !
Je suis fière de lui oui! il n’a pas eu peur une seule seconde:-) et ça c’est cool pour lui! maintenant à moi de gérer ma trouille. Mais ça ira mieux de jour en jour je suis sûre!
Moi, c’est l’article de Nadia Daam qui m’avait mis un coup de pied aux fesses pour laisser « mon grand » aller à la boulangerie tout seul. Je l’attendais en peignoir dans la rue avec sa petite soeur, trop la classe. En te lisant, mon ventre a refait les saltos arrières qu’il faisait ce jour-là.
oh! alors celui là je veux bien le lire. Tu retrouverais le lien (tu vas devenir mon blogowikipédia 🙂
Je pense qu’elle parlait de cet article: http://www.slate.fr/story/92831/enfants-sortir
Je me souviens de la première fois que je suis rentrée seule de l’école, je devais être en sixième, j’étais gonflée par un sentiment de liberté…
Merci pour ce bel article,
K.
Merci,tu nous fait grandir avec toi,avec vous!
Tes mots m’ont donné les larmes aux yeux, et ce sentiment de ne jamais pouvoir les lâcher tu le décris si bien, mon fils n’a que 2 ans mais cet jungle comme tu le dis me fais déjà peur, bravo pour ce cadeau que tu lui as fait.
« Fais moi les yeux » : j’adore ! toujours les mots qui disent exactement ce qu’on ressent.
Bravo pour cette étape. Je n’y suis pas encore mais je suis sure que lorsque cela arrivera, je penserai à toi !
C’est devenu un vrai rituel le coup de « fais moi les yeux » !!
ha rita…toujours aussi touchante, entre les photos de ce magnifique petit homme et tes mots… tu sais que je pleure à chacun de tes billets??! mais pas de tristesse, juste de joie « maternelle » partagée… numéro 1 n’a que 4 ans et demi on a le temps d y penser mais l’autre jour je lui ai fait traverser la rue pour aller « toute seule » chez la voisine d ‘en face et elle était déjà tellement contente…
Ici aussi pour Violette tous les « toute seule » sont bons à prendre!
C’est toujours un plaisir de lire tes billets, tellement beaux ! Et le « fais-moi les yeux », je te le pique pour mes proches ♥
merciii !
Maman de deux grands enfants, 19 et 22 ans…
J’ai adoré lire vos mots , une si belle écriture pour traduire ce que j’ai moi aussi ressenti.
Alors maintenant ils partent un peu plus loin que la boulangerie, mais…toujours la même ‘flipperie » pour moi!!!
On ne se refait pas.
Alors bon courage!!!
Ah l’apprentissage des mères face à la prise d’autonomie de leurs bébés…
[…] (le post qui ne finit jamais) Pour revenir sur l’aventure d’hier. Après s’être couché et alors que je croyais qu’il dormait, Sacha est descendu, m’a pris […]
Ralala, encore une fois, pile dans le mille. Les miens sont tous petits, mais les imaginez traverser la rue sans moi est clairement impensable, le cordon est bel et bien encore là (bon, en même temps, ils n’ont que 3 et 1 ans.., j’ai dû temps devant moi..). Le coup du « fais moi les yeux », je fais pareil, pas une séparation sans un câlin, une caresse ou un regard, sinon, je peux leur courir après en pyjama dans la rue pour les avoir. J’ai adoré lire l’article originel, je ne te connaissais pas à l’époque. Et voir ton évolution en lisant l’article du jour me donne espoir. Un jour, qui sait, moi aussi j’aurais peut être déménagé loin de Paris et aller à la boulangerie me semblera possible pour l’un d’eux. Merci encore pour cet article si doux, si beau.
ah ben bravo, tu as réussi à me mettre les larmes aux yeux…
je suis enfin aller chercher du pain seul
Non mais cette façon que tu as d’écrire ! c’est frais, c’est drôle, c’est poignant, c’est reposant, c’est intelligent, c’est intéressant, c’est fort, c’est doux, c’est … tout ça quoi ! Merci de nous faire partager ces morceaux de vos vies, en belles images et en mots riches 😀
Juliette
PS : mention spéciale à « apprends-moi les mots du jardin » et à « les tripes c’est comme la maille, une à l’endroit une à l’envers » 😀