janvier 15, 2019

À genou. Episode 3

LE CORPS
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Je suis en robe mais j’ai topé des vestiaires pour me changer. Ils sont mixtes me dit la dame que je connais mais que je ne veux pas reconnaitre. Toquez un coup au cas où.

Alain est quelque part, la salle grouille déjà de jeunes sportifs et de profs de sport blessés. Je suis confiante, je sens la pochette un peu rigide dans le sac contre moi. Dedans, les résultats d’hier, ma chair en coupe, en tranche, en noir et blanc.

J’ai des bonnes nouvelles Alain, ce n’est qu’une contusion à l’os, ça va aller vite, je ne vais plus avoir mal, je vais retrouver ma vie, c’est bientôt fini… C’est là sur les images et le médecin hier ne m’a gardé qu’une minute pour me dire tout ça.

Alain a choppé au vol la pochette, il a salué un monsieur aux cheveux grisonnant et à l’épaule en voie de réparation, il lisait le compte rendu d’un côté et moi je le suivais de l’autre.

-Pourquoi vous boitez? Vous avez mal?

-Non! C’est parque que je me méfie. Mais si je n’y pense plus je ne boite pas.

-Alors n’y pensez pas.

Il est pire que moi en punch line le mec. Ça promet.

Alain n’a pas aimé tout ce blanc sur mes os, il n’a pas aimé non plus ne pas voir correctement mes ligaments croisés, il n’a pas aimé l’amas de chair et tout ce bordel entre les deux articulations. Je me suis approchée doucement et je l’ai regardé regarder l’intérieur de mon corps en noir et blanc. C’était comme si je me disais bonjour et que je voyais quelque chose de précieux, de rare, quelque chose que l’on n’est pas censé voir de soi.

Il a dit qu’il y a vingt ans, lors du premier accident ils avaient dû péter et se remettre tant bien que mal. Il m’a montré avec ses doigts et j’ai compris en couleur toutes les chairs en noir et blanc. Il a dit « la contusion de l’os ça mettra six mois à ne plus vous faire mal » et je n’ai rien compris parce que moi tout ce que je voulais c’est ne pas avoir mal.

J’ai dit  » Ça fait chier. » J’était toute guillerette depuis hier, quand l’autre a dit « pas de rupture ligamentaire finalement. »

En fait tu parles c’était déjà pas la fête là-dedans mais moi je ne le savais pas.

On a repris les électrodes, il a massé et massé jusqu’à ce que toute l’huile ait disparu. J’ai pu enfin retendre ma jambe, et la plier.

Hop là demoiselle, pas trop vite quand même. Faudrait pas qu’il se mette à gonfler ce genou. On muscle mais on se ménage. dans dix jours on commence le vélo et dès aujourd’hui des exercices debout.

Un autre monde. Celui de la guérison, des douleurs, du dépassement. Je me dis bof, un genou c’est rien, t’es debout ma belle.

J’ai les yeux fermés et je reste en équilibre, je sens quelqu’un derrière, une voix me dit « N’ayez pas peur, je me mets à coté de vous. N’allez pas tomber de surprise. Et vous péter l’autre genou! » J’ouvre les yeux et je vois une grande cicatrice sur le sien, de beaux yeux bleus. La dame est tombée, bousculée par un gros chien. Alain arrive et nous charrie. « Ça papote là dedans! » j’ai refermé les yeux, il me pousse en me charriant pour me déséquilibrer. J’accroche son bras en riant.

Je rentre doucement dans cet autre monde. Une touriste qui s’habitue. Bientôt mon nom sur un casier…

« Elle me racontait son chien, elle gagne haut la main » je dis.

C’est rien un genou. C’est tout un genou.

En attendant la fin des électrodes je prends des notes dans mon bullet journal là où il reste un peu de place pour écrire. Au 6 décembre j’avais noté « Pilates » à 12h15. Je me souviens avoir passé un enchainement. Mon corps m’obéissait, brillait.

Maintenant il braille. Fais chier.

Fais chier tu sais?

Ça tape, ça cogne, ça vibre, ça contracte. Ça bat dans mon genou et les secondes s’égrainent. Le boitier sonne d’une petite musique à trois notes. La machine affiche fièrement un drapeau à damier signant là la fin des quinze minutes des electrodes.

Je souris. Si j’avais pas la cuisse en transe j’en rirai vraiment. Sans déconner les mec, un drapeau à damier?

La ligne d’arrivée pour aujourd’hui alors. À chaque jour sa ligne finale d’accord?

 

Je vous embrasse fort.

 

 

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3 commentaires

  1. Répondre nadine janvier 16, 2019 à 7:09

    Bonjour Ritalechat… Je me permets d’insister parce que je ne le vois pas dans ce qui vos a été préconisé : mon mari de 45 ans a récupéré sa jambe grâce à la marche en piscine pendant 6 mois. Depuis il a repris le sport. Ma voisine et amie récupère tout doucement la mobilité de sa cheville après arrachement des ligaments g^race à la kiné, évidemment, mais surtout grâce à la marche en piscine. Et moi aussi ,sans m’étendre en détails persos, la piscine me soutient. Et puis le plaisir de laisser l’eau porter son corps meurtri… pardon si j’insiste mais je suis tellement convaincue que ça vous serait d’un immense soutien que j’en rajoute une couche ici. Bon courage, et bonne journée !

  2. Répondre corentine janvier 16, 2019 à 9:15

    même dans ce fichu quotidien de blessée tu nous mets une poésie de folie …. accroche-toi Camille ça va être une nouvelle expérience de vie les séances chez le kiné. merci pour le sourire que tu transmets malgré la galère.

  3. Répondre Lillipop janvier 17, 2019 à 9:53

    Juillet été plage pique nique du soir volley….entorse ligament interne rupture d un croisé retournement du ménisque….operation, etc ….chirurgien extraordinaire, auto rééducation de malade, et piscine piscine piscine ! Parle lui du pédalage en piscine à Alain !! Courage ! Et puis qd on lit le lambeau toutes nos souffrances paraissent bien minimes ! Ça me fait relativiser …..

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