Quarante ans.

La Bastide et les lumières du restaurant de l’Hôtel de Pins qui s’éteignent. La salle entière qui chante tandis que l’on apporte un énorme gâteau. Au poignet la montre rouge à quartz que mes parents m’avait offert la veille. Le bruit des paquets que l’on déchire, une lampe de poche orange avec une grosse pile carrée et une palette de maquillage avec du blush pour me déguiser. Un grand bouquet de mimosas posé sur la table en face de moi. C’est un douze février, il neige comme lorsque je suis née. J’ai dix ans.

Mon premier appartement près de Nice. Mes études et l’insouciance de cette folle vingtaine. Une fête surprise et tous mes amis, ma première paire de lunette de soleil un peu classe. Chez moi c’est juste une chambre et ma famille s’assoit sur des tabourets de fortune. Il y a du jonc de mer au sol et ça gratte un peu les pieds. Dans le grand paquet, un sac en cuir que je garderai toute ma vie. Une bague de famille en or blanc. C’est un douze février.  J’ai vingt ans.

Un tournage, un comédien que j’adorais lorsque j’étais gosse, des housses de costumes et ma Sophie. Des essayages toute la journée mais ce sourire qui ne me quitte plus jamais. Mon petit garçon avec sa varicelle et ses grands yeux doux. Paris. Ma vie tumultueuse, mes coups de sangs et les grands amours. Une fête, un bal perdu, du café en capsule et toute la ribambelle de filles que je m’étais choisies comme des sœurs. Du chocolat sur ma joue. Du chocolat partout. Mon sud qui me manque et la Seine qui commence à couler dans mes veines. C’est un douze février. J’ai trente ans.

Une maison à la façade rose, un olivier qui trône au milieu du jardin dont j’ai rêvé toute une vie. Un grand châle autour de mon cou et une petite fille aux yeux bleus qui prend doucement la main de son frère. Les amis et les talons qui claquent sur les rues pavées de cette ville qui m’a vue grandir et que j’avais quittée. Les verres qui tintent et les cartes bleues dorées au moment de l’addition. Ma famille et une vase aux vingt et une fleurs. Un bouquet de roses, une autre de Violette. Les doigts pleins de chantilly et la douceur d’un joli dimanche. Les petites têtes enfarinées du matin, un vélo, l’or rose d’un collier fin. C’est aujourd’hui et j’ai quarante ans.

Ce serait indécent de me plaindre des quelques rides qui finiront par arriver, de ce corps un peu lourd et du temps qui passe. Mes belles années ne sont pas derrière moi, elles font partie de ce que je suis et construisent chacune de mes cellules. Dans mes yeux je garde l’éclat bleu de mes dix ans, dans mes mains serrées, je garde celles de mes amis et dans le coeur il reste cette éternelle folie douce…Impossible alors de regretter ou d’être amère. Je voulais avoir quarante ans depuis très longtemps. J’ai je crois, tout ce dont je rêvais à dix, vingt ou trente ans. Alors maintenant je vais m’appliquer à conserver tout cela, à l’embellir, le faire grandir.

Ce matin en me levant j’ai eu l’impression étrange que rien n’avait changé. Rien sauf une chose. Cette espace qu’ouvre une nouvelle dizaine. Une possibilité vierge et neuve, comme une première grande inspiration.

C’est aujourd’hui et j’ai quarante ans. En avant !

Camille.